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Laurie-Eve Langlois
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Chroniques d’une infirmière nordique

D’abord, mise en contexte. Au Nunavik, les Inuits parlent principalement l’Inuktitut. Actuellement, l’enseignement se fait dans leur langue d’origine jusqu’en troisième année, puis ça se poursuit en anglais ou en français, au choix. Les « elders » (personnes âgées) parlent et comprennent généralement seulement l’Inuktitut. Les générations «X» et «Y» parlent et comprennent bien l’anglais, certains sont aussi habiles avec le français. À savoir: selon les différents villages, l’Inuktitut en soi peut parfois être différent. Il y a des disparités entre chaque village; on ne parle pas nécessairement le même Inuktitut à Inukjuak qu’à Kuujjuaq.

À mon arrivée à Puvirnituq en 2014, je parlais un anglais, on va se le dire, très moyen (pour ne pas être trop dure avec moi même). Ce pourquoi, on m’a fortement suggéré de faire quelques mois au département de l’hôpital pour améliorer ma compréhension de l’anglais «inuit», pour me familiariser avec les termes médicaux et pour aiguiser mon bilinguisme qui n’était pas tellement pointu. J’ai plus qu’appris durant mes deux «stretchs» au département. La langue bien sûr, mais une panoplie d’autres choses sur cette belle culture. C’était une belle première immersion. J’ai suivi quelques cours «online» et j’ai pratiqué et pratiqué. Aujourd’hui, en 2017… «I’m not bilingual at all», mais je peux maintenant dire que je suis confortable dans cette langue, comme on peut être confortable sur un matelas de camping : «confo» juste assez pour apprécier l’expérience et vouloir la répéter.

La barrière de la langue va bien au-delà de mon petit confort personnel. La plupart des intervenants ici sont francophones d’origine, certains sont parfaitement bilingues, d’autres ont appris un peu comme moi « on the spot » et d’autres commencent à devenir meilleur. C’est la même chose pour les Inuits. Certains sont confortables avec l’anglais comme dans des vielles pantoufles, et d’autres « feel » confortable comme moi sur leur matelas de camping.

La barrière de la langue à beaucoup de limites. Plusieurs mots anglais-français n’ont aucun équivalent en Inuktitut. Les interprètes sont des préposés en établissement nordique avec lesquelles nous travaillons conjointement et qui font entre autres, la traduction lors des consultations avec des patients qui ne parlent qu’Inuktitut. Elles doivent parfois formuler de très longues phrases pour une simple question de trois ou quatre mots. Parfois, il arrive que certains patients se sentent gênés de dire qu’ils n’ont pas compris quelque chose. Alors le silence fut… et le traitement prescrit ne fut pas pris de façon adéquate, et le patient reconsulta deux jours plus tard.

Avec le temps, j’ai compris l’importance de faire répéter les patients pour valider leur compréhension, de leur écrire le plan de traitement du bébé sur un aide-mémoire, de valider avec eux s’ils veulent la présence d’une interprète malgré qu’ils aient l’air de bien parler anglais. Que dire de ma foutue mauvaise habitude de Québécoise (j’ai vu trop d’infirmières et de médecins faire la même chose: on ne me juge pas, merci) à poser des questions avec une négation sous forme de suggestion… «You didn’t have nausea?»… C’est une syntaxe tellement pauvre. Mes patients me répondent alors «Yes». Je deviens alors perplexe… «Yes, you had nausea or you didn’t have?». Ouff…

Le concept de temps est très nébuleux en Inuktitut. Cette magnifique langue a un large spectre de vocabulaire pour désigner l’état de la glace, mais bien peu de mots pour définir le passé, le présent et le futur. À l’époque (pas si lointaine) où les actuels «elders» étaient enfants, le temps n’existait à peu près pas. Un discours bien simple : Aujourd’hui on chasse, on a de quoi manger, la pêche a été bonne, les enfants s’amusent ! Pourquoi alors accorder de l’importance au temps, qui sait où nous serons demain ?

Je sais maintenant environ 15-20 mots en Inuktitut. Je sens que le lien est plus solide lorsque je me présente en les saluant dans leur langue d’origine, que je leur demande s’ils ont bien comprise en disant «tukisivit ?» C’est bien peu, mais je crois que ça favorise un peu la proximité et la confiance.

Je crois que cette barrière va demeurer, mais qu’elle peut être assouplie avec la patience de l’un comme de l’autre, avec le désir d’avoir des relations harmonieuses, enrichissantes et en étant ouvert d’esprit. Il ne faut pas perdre de vue que c’est leur racine. L’Inuktitut doit absolument continuer d’être transmis et enseigner pour éviter de plonger cette culture dans le tourbillon de perte d’identité qu’elle est tente de se sortir.

Et moi, je continue de m’améliorer, de faire des tournures de phrases qui me font parfois rougir, à parfaire mon Inuktitut, à être fasciné par le temps que peut prendre la traduction d’une simple question et à insérer le mot «imaituk» dans ma vie au moins une fois par jour (choses, objets quelconques : à peu près tout ce qui se pointe du doigt et qui n’a pas de mot inuktitut).

« Taima »

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