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Laurie-Eve Langlois
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Chroniques d’une infirmière nordique

J’ai voulu faire ce métier pour soigner, être près des gens, offrir du bon à ceux qui en ont besoin. Ici aussi, on ne compte plus nos heures, la fatigue nous rattrape et la qualité des soins se perd tranquillement dans la lourdeur de la surcharge de travail.

Je suis de garde aujourd’hui. Le sommeil me manquera. Je regarde par la fenêtre. Les vents sont puissants. J’attends que le téléphone sonne. Bien au chaud, entouré de quatre murs beiges, accompagné d’une douce musique que j’entends à peine tellement tout ce chevauche dans ma tête, je ressens la froideur des moins quarante degrés dans chacun de mes os. En même temps, je transpire de colère.

Je me ravise un instant. Je dois être optimiste, lâcher-prise et adopter une attitude positive. J’ai tellement dit que je faisais le plus beau métier du monde. J’ai même réussi à convaincre celle qui n’entend plus la musique. Aurais-je menti aux autres ? Et à moi-même ?

J’attends que le téléphone sonne. J’entends les motoneiges traverser le vent à vive allure. Je souhaite que les prochaines blessures du prochain patient ne soient pas trop importantes. Les avions n’atterriront pas dans ce temps cruel de février. Je croise les doigts qu’on soit minimalement gentil à mon égard. Je sens que ma carapace se ramollit. Au fur et à mesure que je pratique cette censée vocation dans un climat hostile, la force et l’espoir cèdent leur place à la fragilité et l’épuisement.

Le téléphone ne sonne pas. Le vent devient violent. Le fossé se créer entre la missionnaire et la révoltée. Les minutes qui passe me permettent de trop penser. La musique continue en mode sourdine dans mon esprit. Je suis prise entre l’envie d’aider et celle d’abandonner. Prise entre l’appel du dévouement et celui du nombrilisme.

Le vent tourne, mes pensées aussi. Soudainement j’entends de nouveau cette musique. Elle est assourdie par la lourdeur de mes idées utopiques trop longtemps ruminées. Ces idées préconçues de soigner les gens dans un climat pacifique et transpirant d’humanité. Ce désir d’attiser la souffrance, ce besoin de recevoir un franc sourire ou de prendre une partie, si minime qu’elle puisse être, de la peine des autres. Le faire sans la pression qui vient d’en haut. Le faire en utilisant les silences de façon curative. Le silence est, dans le système actuel, une bonne excuse pour rapidement s’esquiver, courir vers la prochaine mission à accomplir en ayant l’air d’offrir une écoute attentive.

Je regarde par la fenêtre. Je l’aperçois difficilement. Elle marche avec sa canne à reculons, elle porte son passé sur son dos courbé. Le vent du Nord qui tente de la faire tomber me laisse croire que cette vieille dame est vraiment solide. Elle en a vu d’autres. Sa solidité me confronte à cette indolence qui tend à s’installer sournoisement en moi. Je le déteste cet état d’inertie dans lequel se plonge tranquillement la fougueuse et fervente soignante que je suis, ou que j’étais. Je ne sais plus.

J’espère que le vent se calmera aujourd’hui. Je souhaite apercevoir les couleurs vives du soleil avant que l’obscurité de la nuit s’installe. La dame a fini par traverser le vent. Je ne la vois plus. La paresse et l’engourdissement de mes pensées me quittent au même instant. Je me sens soudainement redevenir bienveillante et mon âme redevient charitable. Mes bonnes intentions du passé me reviennent une à une à l’esprit à la même vitesse que mon discours détaché et destructif est apparut quelques minutes plus tôt. Je suis tiraillée entre la bonté et l’égoïsme, entre le lâcher-prise et l’entêtement.

Le téléphone sonne. La même sonnerie si vive et agressive que de coutume. Dans la même chronologie, mon cœur manque au moins deux battements puis s’accélère et se serre.  Parce qu’avec toutes ces tragédies qui ont traversé mes gardes, mon corps s’est habitué à se mettre en mode « urgence d’agir ». J’oublie alors les conditions de travail inacceptables que moi, mes collègues et toutes les infirmières du Québec subissons depuis trop longtemps. Je réponds à l’appel : un bébé de huit mois convulse, une maman est paniquée. Le naturel revient au galop, mes frustrations me quittent.

Ces gardes-là puisent toute mon énergie. Heureusement, la gratitude des patients et le sentiment du devoir accompli la renouvellent. Nous, infirmiers et infirmières du Québec, pratiquons notre métier dans des conditions de travail qui usent notre détermination, nos forces et notre patience. Collectivement, nous sommes fatigués. Collectivement, nous voulons du changement.

2 comments on “Chronique #29 : Entre l’envie d’aider et celle d’abandonner

  1. Hamelin Micheline dit :

    Entierement d’accord.

    J’aime

  2. Kevin dit :

    Très bon article Laurie! Tu décris tellement bien la réalité du maudit téléphone de garde! Ça fait 5 ans que j’ai arrêté les gardes et lorsque j’entends la sonnerie je tombe sur le qui vive.
    Bravo

    J’aime

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