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Laurie-Eve Langlois
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Chroniques d’une infirmière nordique

Septembre. Il fait exactement 3 petits degrés sur le thermomètre de Kuujjuarapik au moment d’écrire ces quelques lignes. L’été est terminé, l’hiver la suit de très près. Là où il n’existe qu’apparemment deux saisons, là où les journées raccourcissent à la même vitesse que les rafales que seul le Nunavik connaît, là où les mouches sont apparues au solstice d’été et disparu avant même que le frima ne se soit posé sur la toundra, là ou plutôt ici, on porte déjà tuque, mitaines et les paris sont ouverts sur quand aura-t-on notre première bordée de neige, notre premier blizzard.

À l’approche des grands froids, des moins cinquante degrés qui s’empresseront de nous transpercer le corps, à l’approche des journées noires, des cils gelés et des multiples consultations pour des engelures, je ne peux m’empêcher d’appréhender, d’être malaisée de ce qui s’en vient, d’être contrariée par l’insouciance et la déresponsabilisation de nos gouvernements face à la crise du logement qui sévit dans le Grand Nord depuis trop longtemps. L’évidence c’est qu’on évincera les mauvais locataires, on effleurera à peine le sujet, on laissera les « je-me-moi » bons payeurs de taxes exclamer leur critique tinter de leur ignorance, et on tournera la page rapidement, comme le mauvais chapitre d’un roman obligé.

La réalité est pourtant que des gens vulnérables, des personnes âgées, des toxicomanes, des jeunes mamans, des gens souffrant de problème de santé mentale se retrouveront soudainement à la rue. Pas la rue du Sud, celle que certains Nunavimiuts m’ont déjà qualifiée du cinq étoiles des homeless. La rue du Nord.

La rue du Nord, c’est le Far West des homeless. On ne survit pas longtemps à dormir sous les aurores boréales de février. Les gens évincés doivent survivre. Ici, aucun « shelter », aucune, « soupe populaire », aucun plan d’urgence en cas de froid extrême. C’est du chacun pour soi, dans une communauté où l’hospitalité des autres donne une raclée à la promiscuité des maisonnées. La plupart de ces évincés trouveront donc refuge tantôt chez une famille de huit dans un logis de deux chambres à coucher, tantôt chez une famille de fêtard où le « 40% » coule à flot, tantôt dans une maison qui transpire d’insécurité alimentaire et où les besoins à la base de la pyramide sont dessinés comme superflus. Dans les maisons où la gale, la tuberculose, la gastro, la grippe se transmettre comme une trainé de poudre.

2019. On parle de crise suicidaire. Les statistiques donnent la nausée. Les besoins primaires ne sont pas comblés, le surpeuplement est aux logements ce que l’inaction est au gouvernement. On s’en fout. On veut ignorer. On veut évincé, faire le grand ménage, réclamer son dû. On sanctionne les méchants locataires, notre société se lave les mains de ses inégalités sociales et on s’applaudit de faire respecter la loi.

L’éducation par la répression s’est dépassé. Ruminer le passé encore plus, mais il ne suffit pas de seulement s’excuser.  L’apprentissage par le maternage, ça épuise. Le gouvernement doit être conséquent et se rafraîchir la mémoire. Un petit « wrap up » historique : il n’y a pas de ça si longtemps, on leur offrait ces logements comme une pomme empoisonnée, en leur promettant le beurre et l’argent du beurre. Dénaturés de leur culture et sans nouvelle de la famille, ils ont appris à leurs dépens le goût amer de cette offrande. Ça prend des actions avec les communautés pour améliorer l’état de santé globale, acquérir plus d’indépendance, faire la paix avec le sentiment d’accomplissement individuel et collectif, être épaulé pour lutter contre cette crise suicidaire. Il faut s’attaquer à la pénurie de logements. Parce que plus de logements, c’est moins de violence conjugale et familiale, moins d’insécurité alimentaire et moins de problèmes de santé physique et mentale. Il faut cesser de s’attaquer à la pointe de l’iceberg et aller là où le fondement manque de solidité.

One comment on “Chronique # 36: Évincé

  1. Rolande Trottier dit :

    Tristement vrai et tellement désolant!

    J’aime

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